vendredi 13 mars 2015

Maison

Toujours les gens me demandent d’où je viens et où je vis?
Ma demeure, dont la plupart des pièces sont tapissées de livres ou bien de simples bouteilles de vins, fut construite au fond d’un bois par l’un de mes deux fils, celui qui a pris le prénom du dernier charpentier.
L’espace est sans fenêtres mais les fentes dans les murs sont suffisantes pour aérer l’ensemble et laisser passer les oiseaux pilleurs qui aiment à nettoyer la table des mies de pain qui y trainent après chaque repas. Allez zou les enfants ! Chez nous, bien manger est un devoir autant qu’un plaisir, mais laisser un petit quelque chose sur le bord de l’assiette est une invite à l’autre, celui ou celle qui panse ses plaies, quelque part sur le chemin. Gente plumée qui s’égaillent autour de nous, ces petits riens sont aussi pour vous.
Une porte à l’arrière de la maison mène vers les bois et le paradis de l’enfance.
On me demande combien d’enfants j’ai. Combien ? Et bien, quelle importance si j’en ai quatre et que je les aime tous les quatre ! Le cinquième, sans doute, est en route, et je ne sais même pas si je serais présent le jour ou ces jeunes poumons brûleront  l’air que nous respirons. Je serais mort ou bien ailleurs.
On me demande aussi mon âge.  Mon sang jamais ne sait et puis quelle importance si autour du soleil j’ai déjà tourné cinquante fois ? Je me dis toujours que c’est en dansant que nous devrions tous passer ce temps si bref qui nous est imparti. Seulement en dansant. Chacun ses défauts ; tituber m’est plus familier. En tout,  c’est une leçon que je n’ai eu aucun mal à apprendre. Pas de quoi être fier pour sûr. Mais, qui voudrait se faire éjecter comme un moins que rien au milieu d’une danse par une belle fille de São Filipe de l’Île de Fogo ? Pas moi en tout cas. Et pourtant… 
Les questions je ne les aime pas et de loin je préfère une bonne histoire. Vraie ou fausse, peu importe du moment qu’elle soit directe et bien torchée.
Ah, donnez moi un peu à boire ! Voilà, merci, c’est gentil. Le Verbe n’aime pas quand la langue fléchie ou butte comme un couillon à la moindre virgule.
C’est bon, n’est-ce pas ! Et puis d’ici, pour peu qu’on est bien les yeux en face des trous et que le soleil ne nous brûle pas les yeux, on peut dire que, oui tiens, le paysage à des détails croustillants. Cette fille au loin, par exemple, qui même avec de l’eau en-dessous des genoux pense qu’elle va se noyer. Et ce gars à a coté avec ses bras ballants et inutiles…
Je n’ai pas de religion, je ne crois dur qu’aux cailloux. À la terre aussi. La terre.
Elle ne m’a jamais quittée, ni moi non plus d’ailleurs. Pourquoi le ferais-je ? Ce n’est pas mon truc d’aller me la péter dans l’exosphère.  Mes meilleurs amis sont ici, éparpillés, la plupart ont leur maisonnée dans des petits pays, allez savoir pourquoi. Parfois on se rencontre. Parfois non. Quand je ne les rencontre pas, je meurs un peu, mordillé par la nostalgie. Eux aussi j’imagine.
On titube, tous que nous sommes. Ils y en a même qui tombent, s’écrabouillent le nez. Les polonais jamais !
Ami, reste encore un peu avec moi. Laisse la lumière jouer sur nos doigts qui déjà aspirent à ce que l’on ouvre une autre bouteille, regarde je mets Grog tá kaba sur le platine. Dansons un peu, veux-tu ? Les jours ont rallongés, n’aie crainte, tu ne te perdras pas sur le chemin du retour. Ta mère sait Ô combien tu n ‘aimes pas les lignes droites, pour sûr elle va se faire du mouron, mais après quelques heures, crois moi bien, elle dormira comme les autres.
Sur chacun de mes doigts j’ai mis une bague de papier. Cinq doigts, cinq vies, c’est ce que j’ai eu jusqu'à présent. Il m’est arrivé de désirer la mort. La mort on la désire quand on est vraiment heureux ou alors complètement con. Quelle perte de temps, d’être con quand on a la possibilité d’être heureux ! Tu sais, être heureux ne tiens qu’a nous, toujours.
Les continents ne sont jamais heureux pas plus que les grands pays  qui régulièrement  développent une sorte de pathologie dermatologique ; la Poutine maladie par exemple.
Les petits pays coincés entre deux grands pays développent un certain humour en plus de produire des bières de qualités.  Les pays qui n’existent pas n’existent pas mais sont rêvés par quelques uns. Ceux qui n’aiment pas les pays, ne rêvent pas d’en avoir un, et vagabondent de par le monde. Ils ne sont pas forcément heureux mais  continuent de rêver, surtout après deux heures du matin, quand bien fatigués et après mille circonvolutions, ils ont rincés et mouillés les deux draps légers qui les couvrent.
Ah ! Ti Jon Poca! Je n’aime tellement pas les emmerdeurs !
Et je suis tellement de mauvaise foi. Et j’aime tellement être de mauvaise foi !
Fille de Fogo, pourquoi me laisses-tu seul sur le bord de la piste ? Regardes-moi, je aussi pétaradant que ton volcan, aussi bouillant que le plus mal foutu des jeunes taureaux qui arpentent ton île, deux pieds plus courts que les deux autres.
Ce soir, après être passer à coté du cimetière  qui surplombe l’Atlantique  et bien avant d’entrer dans les eaux froides pour rejoindre la paisible Brava, je me frotterais la couenne sur le sable noir tout en pensant à toi et à tout ce qui fait ma vie.
Pour Mathilde, René, Hilla, Léos et le lieu-dit La Madelon, un des champs de mon enfance.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire